Revue Presse-HEROINES_1 – Lamento de Livia – CieLesPASSEURS-02-2018
Zibeline N° 107 / Maryvonne Colombani
Avant la représentation théâtrale, souvent, le texte, sa lecture, ses tâtonnements… délices des commencements, lorsque l’œuvre arpente encore le champ des possibles. C’est à ces frémissements que nous conviait entre autres spectacles les Scènes d’Aubagne (La Distillerie, le Théâtre Comoedia, la Médiathèque Marcel Pagnol), lors de la manifestation Place aux Compagnies qui s’attache à soutenir la production du spectacle vivant en région.
On entendait ainsi dans l’écrin de la Médiathèque Marcel Pagnol le texte inédit de Sabine Tamisier, Lamento de Livia, commande d’écriture de la Compagnie Les Passeurs dans la perspective d’un triptyque à venir, Héroïne(s) : trois solos, trois actrices (Lucile Jourdan, Stéphanie Rongeot, Gentiane Pierre), trois auteurs… Sabine Tamisier, Dominique Richard et Sophie Lannefranque, sollicités par la compagnie. Chacun brosse le portrait d’une femme en proie à une addiction. Le premier volet, lu avec une expressive simplicité par Lucile Jourdan, évoque Livia, qui boit sa vie, la noie dans les verres inépuisables d’alcools divers qui lui donnent l’impression d’exister, de faire partie de la communauté des êtres qui passent dans le café où elle travaille. La description, juste, profonde, humaine de ce personnage, se double d’une métaphore de la création. Livia ne cesse de s’inventer, de se projeter dans un futur que l’on sait illusoire, ou de remodeler le passé au gré de ses multiples reconstructions. La réalité devient fictive dès qu’elle se raconte, et c’est par cette autofiction permanente qu’elle acquiert sa vérité. Être de mots, puisque les actes trahissent… Avec une infinie délicatesse, Sabine Tamisier nous fait voyager dans les méandres d’une conscience qui ne cesse de se vouloir et de s’échapper.
Esseulée au comptoir d’un bar de station, Livia s’épanche, nous livrant par bribes les souvenirs de
son amour perdu. Tour à tour vacillants ou débordants, délicats ou impudiques, ses mots esquissent
le récit d’une vie peu à peu noyée dans l’alcool, dans un monologue qui franchit ses limites pour aller
au contact du public.
Ce lamento, plein d’humanité et de simplicité, revisite la figure de l’ivrogne pour lui rendre sa part
de vulnérabilité et de plasticité : une figure sans cesse remodelée, qui chancelle, se heurte à la vie.
Premier volet d’un triptyque autour du thème des addictions au féminin, Héroïne(s), ce solo résulte
d’une résidence au Théâtre Joliette, ayant pour objet de questionner nos représentations des addictions
dans une démarche communautaire.
A la représentation du 19 décembre dernier au Théâtre de Lenche a d’ailleurs succédé une rencontre
intitulée « Alcool / postures / rapport aux soins », sur laquelle Nouvelle Aube était invitée à présenter
la revue et intervenir aux côtés de Matthieu Fieulaine, picologue et coordonnateur du Collectif national
des acteurs de RDR alcool (cf. SaNg d’EnCRe n° 2) et Dirk Putzschel, médecin addictologue. Une
rencontre qui a permis de riches échanges avec le public, rappelant la dimension intime et subjective
de l’addiction, qui ne saurait se réduire à une quelconque définition univoque.
Auteure : Sabine Tamisier / Actrice : Lucile Jourdan / Metteure en scène : Stéphanie Rongeot / Musicienne : Gentiane Pierre
Rendez-vous début avril 2019 pour le 2ème volet du triptyque, Héroïne(s) #2, au Théâtre Joliette à Marseille.
Sophie Desrousseaux